Par Francine Clément  | f.clement@cursus.edu

Nouveaux portraits de la muséologie numérique

Créé le mardi 3 juin 2014  |  Mise à jour le mardi 3 juin 2014

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Nouveaux portraits de la muséologie numérique uCurate, site web The Phillips Collection

Dans les prochaines semaines, Francine Clément publiera une série de rencontres avec des acteurs de la muséologie 2.0 dans des institutions muséales de Washington, notamment dans les musées nationaux de la Smithsonian Institution.

Ces rencontres ont pour but de dresser un portrait actuel, sinon exhaustif, du travail qu'effectuent les responsables des projets numériques dans le développement, la gestion ou la production de ces projets de muséologie virtuelle.

On peut en lire davantage sur la genèse de la recherche dans cet article, publié en décembre 2013 sur le blogue Smithsonian 2.0.


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1. Sarah Schaffer, The Phillips Collection

Attirer les clientèles, rejoindre les publics

Avant d’arriver à la Phillips Collection de Washington et d’y devenir la directrice du marketing et des communications, Sarah Schaffer n’avait pas encore travaillé pour des musées. En poste depuis neuf mois au moment de l’entrevue, en mars 2014, elle a plutôt acquis une expérience d'une douzaine d'années dans le monde de l’édition et des médias privés.

Armée de trois téléphones cellulaires et pendant un nombre spectaculaire d’heures de travail par jour, elle dirigeait, entre autres, la mise en marché d’un magazine.  Elle tentait d’y attirer des clientèles nouvelles, diverses et multiples, sur tous les médias. Selon elle, c’est notamment cette expérience qui lui a valu son embauche à la Collection Phillips, où on cherchait à rejoindre des publics différents, à  créer des collaborations innovantes avec le public et à faire vivre l’expérience du musée sous différentes formes.

Une partie de son travail consiste à coordonner des projets numériques à la Phillips Collection où elle dirige une équipe de quatre personnes, dont une spécialiste des médias numériques. Cette dernière a un parcours professionnel plus typique que le sien, constate t-elle, dans le monde muséal, comme la plupart des autres collègues qu'elle y côtoie.

Quelques projets numériques à la Phillips Collection

Certains projets virtuels sont réalisés en collaboration avec d’autres services du musée. C’est le cas de uCurate, un projet en ligne fait en partenariat avec le département éducatif, autour de l’exposition Made in the USA, et qui permet d’expérimenter la conception d’une exposition muséale de manière virtuelle.

uCurate donne la possibilité de monter sa propre exposition en ligne à partir d’une cinquantaine d’œuvres  numérisées de la collection. Après s’être connecté, on choisit la couleur des murs des salles, le thème de l’exposition, les œuvres à exposer, leur emplacement, le tout d’une manière très fluide et aisée. 

On écrit les textes d’information et on donne un titre à l’exposition. Le projet a été développé dans Virtual Gallery, un programme qui recrée les salles et les oeuvres de la collection du musée, à l’échelle et en 3D. uCurate se déroule en ligne mais on peut également y accéder dans le digital lounge, (ci-contre), un espace attenant aux salles d’exposition, dans le musée.

On s’assoit aux postes informatiques pour utiliser le  programme ou on le fait sur un grand écran tactile du lounge, en solo ou en petits groupes. Les expositions virtuelles sont sauvegardées et publiées sur le site web ; on en compte plus de 200. Des prix sont remis aux plus intéressantes et on invite les commissaires virtuels à partager leur exposition sur Twitter ou Facebook, à l’aide du mot-clic #MyAmericanArt.

Médias sociaux

La présence de TPC sur les médias sociaux est en développement ; le musée a des comptes Facebook, Twitter, Pinterest, Instagram et Google + et la directrice surveille les nouveautés comme Snapchat et Vine. Des photographies et des vidéos sont également publiées sur Flickr et Youtube. Sur les médias sociaux, les communications de TPC avec les visiteurs sont un succès, tout particulièrement sur Twitter et pour la promotion des expositions.

Une série de trois tweetups réalisés au musée a été particulièrement populaire (un million et demi d'affichages ou impressions, le terme utilisé en analyse de fréquentation web). Les 15 participants de chaque tweetup ont été choisis au hasard parmi les répondants, suite à un large appel public fait sur les médias sociaux.

On a également ciblé certaines personnes spécifiques, notamment des abonnés du compte de TPC avec qui les interactions sont fréquentes, et qui ont eux-mêmes de nombreux abonnés. On leur a écrit un message direct (« Did you hear about… ») pour s’assurer qu’elles étaient bien au courant de l'événement et que leur inscription y était la bienvenue. Les gagnants avaient droit à une visite guidée avec le conservateur de l’exposition, avant l’ouverture officielle, et à une visite du laboratoire de conservation durant laquelle ils pouvaient examiner une toile de maître au microscope. Et, bien sûr, tweetaient à propos de cette visite privée pour promouvoir l’exposition.

Sarah Schaffer reprendra volontiers ces tweetups, –pas trop souvent afin d'en conserver le coté spécial et attrayant- qui, outre leur fonction promotionnelle, rendent accessible à un plus grand nombre, grâce aux médias sociaux, une visite commentée par des spécialistes.  Le contenu des visites est transmis (et vulgarisé) par les participants en présence, d’une manière créative et interactive, pour le bénéfice des visiteurs virtuels. 

#Instavangogh, un outil de promotion pour l’exposition Van Gogh Repetitions, est un autre exemple d’expérience faite au musée, qui allie les activités in situ et la présence en ligne. On a invité les visiteurs à faire un autoportrait avec une barbe de carton à la Van Gogh, distribuée à la boutique du musée et à des personnes influentes des médias sociaux. 200 selfies amusants ont été publiés sur Instagram et Twitter, qui ont suscité 800 000 vues.

On estime à 3 000 000 le nombre de personnes potentiellement exposées à cette promotion sur les médias sociaux (le reach, pour reprendre la terminologie de l'analyse des audiences web). Des prix (catalogues, entrées gratuites) ont été remis à tous les mois aux créateurs des autoportraits les plus intéressants, pour encourager leur publication.

Un projet de la directrice du marketing et des communications serait de développer la chaîne vidéo du musée où on publie déjà des documents pour chaque exposition, par exemple des vidéos sur les coulisses du montage d'une exposition, des entretiens avec les conservateurs. Elle souhaiterait diversifier le contenu de la chaîne, en y offrant des conversations entre spécialistes, des analyses plus générales, etc.

Des outils pour évaluer et évoluer

Schaffer se sert d’outils d’analyse pour évaluer la portée des campagnes promotionnelles et des activités en ligne du musée : TweetReach, Hashtracking, Storify, Google Analytics. D’autre part, elle effectue une veille sur les tendances de l’industrie, dans la presse, les relations publiques, le marketing et est membre d’associations professionnelles dans ces domaines.

Dans ce trop plein d’informations qui nous parvient par le web, elle se dit surtout inspirée par les stratégies de communication qui réussissent à faire ressortir des contenus du lot et qui attirent les gens en faisant appel aux émotions, à ce qui les touche.

Elle est abonnée à des blogues spécialisés et à quelques quotidiens qu’elle lit tous les matins. Pour réussir à évoluer dans le monde du numérique, il faut selon elle être curieux de nature, toujours vouloir apprendre et avoir la capacité de distinguer quelles informations peuvent se transformer en réalisations concrètes qui servent la mission du musée.  Au lieu d’être l’expert dans une discipline, elle mentionne être davantage une edgepert, une dilettante qui connait plusieurs choses différentes sans en avoir la maîtrise, mais qui en sait assez pour prendre les bonnes décisions.

Tous les membres de l’équipe font partie de l’American Alliance of Museums, afin de suivre ce qui se fait dans le monde muséal, et participent régulièrement à des conférences spécialisées pour être au fait de l’évolution de la muséologie et de la muséologie numérique.

Elle regarde les nouvelles et est de service tôt le matin, tard le soir et la fin de semaine, bien que cette recherche et ces heures ne soient pas reconnues comme partie intégrante de son  travail. It’s part of the gig, dit-elle, et cela ressemble à ses anciennes façons de fonctionner dans le monde de l’édition privée. Elle est en constante communication avec la responsable des médias sociaux au musée, avec qui elle partage la responsabilité de réagir aux actualités, qui se renouvellent rapidement et qui par conséquent laissent peu de temps de réaction. Il faut assurer une veille continue si l’on veut participer à la discussion en ligne quand elle concerne le musée d’une façon ou d’une autre. (NDLR : peut-être verra t’on apparaître des quarts de travail dans l’organisation future des tâches reliées aux projets en ligne des musées?)

Décentraliser les projets

Digital TPC, une réunion où sont présentés les projets numériques de la Phillips Collections, a lieu tous les deux mois et les membres du personnel sont invités à y assister ; une quarantaine de personnes environ s’y présentent à chaque fois pour discuter des projets avec leurs instigateurs. D’autre part, Sarah Schaffer encourage les membres du personnel à faire eux-mêmes des interventions sur les médias sociaux. Pour ce faire, elle a mis sur pied la formation en présence Social Media 101, ouverte à tout employé de TPC, afin d’inciter ces derniers à ouvrir des comptes Twitter, Facebook, Pinterest et Instagram.  Ils ne le faisaient pas jusqu’à maintenant, bien qu’ils s’y intéressent, parce qu’ils n’en comprenaient pas le fonctionnement.

Tous les employés doivent par ailleurs suivre une formation obligatoire à l'embauche, l’Ambassadorial Training, afin d’être en mesure de parler et d’écrire au nom du musée, de manière cohérente, en respectant la mission et la voix de l’institution.

Sarah Schaffer se voit comme une personne-ressource qui doit se tenir au courant des tendances et des changements technologiques à court, à moyen et à long termes. Elle doit se former sans cesse afin de reconnaître les projets et les équipements sur lesquels on peut investir argent, temps et efforts et leur assurer une certaine durabilité. Elle est celle qui doit bien comprendre l’évolution de la muséologie numérique pour servir au mieux la Phillips Collection dans ses composantes virtuelles, for now, for the next and for the next next.

Sources

The Phillips Collection : http://www.phillipscollection.org/

Sarah Schaffer sur Twitter : @sarischaff

uCurate : http://www.phillipscollection.org/ucurate

Storify Made in the USA Tweetup #MyAmericanArt : https://storify.com/PhillipsMuseum/made-in-the-usa-tweetups

TPC sur Twitter : @PhillipsMuseum

TPC sur Facebook 

TPC sur Instagram

TPC sur Pinterest

TPC sur Flickr

TPC sur Youtube

Photographies   

Sarah Schaffer, salles d’exposition, The Phillips Collection, Digital Lounge. par Francine Clément, (CC BY-NC-ND 4.0)

Captures d’écran tirées du site web The Phillips Collection

Remerciements à Nancy Proctor, responsable des projets mobiles à la Smithsonian Institution au moment des rencontres, et à Valeria Gasparotti, stagiaire, Initiatives et stratégies mobiles, d’avoir grandement facilité l’organisation des entrevues.

Merci à Cégep International, pour l’aide financière accordée à cette recherche et aux responsables des projets numériques qui ont donné de leur temps et participé aux rencontres ; leurs propos, livrés dans le cadre de cette recherche et repris dans la présente série, l’ont été à titre personnel  et n’engagent qu’eux seuls.

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