Divina FRAU-MEIGS

Un regard transmedia sur des œuvres aux multiples déclinaisons

« Les enjeux autour des patrimoines numérisés concernent fortement l’éducation aux médias et à l’information (EMI). Le document numérisé présente la particularité de séparer le contenu de son support d’origine : il devient sécable, modulable et évolutif, voire génératif. Il s’offre alors à des pratiques inédites de lecture, d’écriture, de partage, de remixage, voire de piratage… Il est donc quasiment impossible, dans ce domaine, de se consacrer à l’étude d’un média particulier : seule une perspective transmedia permet d’étudier les déclinaisons d’une œuvre.
À la manière des marques, une œuvre numérisée fait souvent naître un univers entier, avec la création de plusieurs types de productions dérivées, qui peuvent se présenter sous une diversité de supports (par rapport à celui d’origine). Un ouvrage comme Harry Potter peut devenir une série cinématographique, susctier des sites de fanfictions, se dériver en bestiaires, jeux, applications pour mobiles. JK Rowland n’est plus la seule à alimenter l’imaginaire des représentations ni les dérivations commerciales et non-commerciales de son travail. Cette mutation peut se définir comme le passage de l’œuvre à la licence, — un processus aux déclinaisons multiples que le numérique amplifie durablement.
Les travaux sur le numérique et la numérisation doivent prendre en compte ces nouveaux usages et productions qui altèrent la relation à l’œuvre et au contenu, du fait de la possibilité de l’utilisateur d’agir dessus, par des pratiques d’agrégation, de tri, de création qui échappent à l’auteur même lorsqu’il les aménage par licence. Pour toutes ces raisons, il est important de ne pas regarder le patrimoine uniquement sous l’angle du passé et de la conservation, mais aussi dans un souci d’avenir et de créativité... On constate d’ailleurs que ce sont les pays les mieux dotés en patrimoine qui se révèlent les plus créatifs à l’ère du numérique : les pratiques de mix et de remix y sont logiquement les plus dynamiques. Les humanités numériques peuvent ainsi renouveler les industries culturelles mais aussi faciliter l’émergence des industries créatives, comme des biens numériques caractérisés à la fois par leur dimension relationnelle (elles suscitent du lien social sur les réseaux sociaux) et leur dimension expérientielle (elles suscitent des usages effectifs, non nécessairement planifiés).
Les modalités numériques de la co-présence de l’auteur et de l’usager autour de la création patrimoniale constituent toute une aire de recherche à explorer. Elles font entrer l’œuvre dans un dispositif socio-technique et un réseau discursif de « bio-pouvoir », comme dirait Michel Foucault. Se crée un effet de réception, où l’interface numérique interagit avec les contenus eux-mêmes et peut induire des comportements et des actions donc certaines peuvent s’avérer coercitives, dans un contexte social donné, et d’autres se développer en contrepoint centripète à des forces de pouvoir centralisantes. Seul un regard transmédia appuyé sur une éducation aux médias et à l’information critique et citoyenne peut assurer la maîtrise de ces nouvelles cultures de l’information. »

Biographie/Bibliographie

Contact